Emmanuel Guibert, en bonne compagnie, En bonne compagnie

Emmanuel Guibert, Jacques Samson

Les Impressions nouvelles

  • Conseillé par (Libraire)
    18 mars 2021

    Une magnifique monographie

    Il est LE dessinateur de ces deux dernières années: réimpressions multiples, articles dans la presse, prix, Emmanuel Guibert, habituellement si discret, est omniprésent dans le monde de la BD et de la littérature. Grand Prix, unanimement apprécié, du festival d’Angoulême 2020, il avait investi l’Académie des Beaux-Arts de Paris avant d’exposer jusqu’au 27 juin sur les murs du musée d’Angoulême, sous le titre « En bonne compagnie », un titre révélateur pour une exposition monographique qu’accompagne ce magnifique ouvrage homonyme.

    Guibert explique lui même le titre: « comme je ne vais pas pouvoir faire autrement que de parler de moi dans ce livre, commençons par parler des autres ». Il est ainsi, le dessinateur mondialement reconnu, le « je » n’est pas son fort mais en parlant des autres, lorsqu’il fait le portrait de dix créateurs amis, on fait mieux connaissance avec le dessinateur lui même. Par transparence apparaît un Guibert attentionné dont Jacques Samson, co-auteur dit de lui qu’il possède « cette forme particulière de l’attention, orientée vers les autres, que l’on désigne sous le nom d’empathie ». Apprendre des autres, chercher à leur contact de nouvelles techniques, de nouveaux styles, est le credo du créateur et l’on est profondément touché lorsqu’il raconte ses rencontres avec le dessinateur chinois Xin, la peintre varengevillaise Micheline Bousquet ou encore Leland, un peintre taïwanais autiste.

    C’est bien ce goût des autres qui est à l’origine de ses oeuvres majeures quand il consacre dix années de sa vie à retranscrire l’existence d’Alan Ingram Cope, cet ancien GI ou le reporter photographe Didier Lefèvre en Afghanistan. Pour créer ce type d’ouvrages, Guibert a besoin de dialogues, d’amitié. Il refuse ainsi de raconter la vie d’un résistant trop méconnu Michel Hollard parce qu’il ne consacrera « pas de livre à quelqu’un que je n’ai pas connu ». Par contre il lui offre 98 magnifiques pochades, sous forme de damiers, comme autant de passages clandestins de la frontière suisse.

    Cette passion pour les autres on la retrouve dans les entretiens des deux auteurs que l’on doit qualifier de discussions à bâtons rompus. On y découvre notamment combien à chaque vision, chaque volonté de reproduire Guibert utilise un médium, celui qui rendra le mieux l’émotion ressentie: «  si on a une ou deux techniques humides et deux ou trois techniques sèches dans le sac à dos, on arrive à peu près à tout traiter ». Acrylique, craie, terre crue, pipettes pour solution nasale, il expérimente tout, soucieux de trouver à chaque création le médium le plus adéquat.

    Magnifiquement mise en pages cette monographie répond parfaitement à la dernière caractéristique du genre: reproduction de croquis, d’esquisses, d’ébauches, de documents rares qui témoignent des multiples techniques utilisées, des styles variés et de la vitalité créatrice d’un auteur capable d’oeuvres de grande envergure inoubliable mais aussi de publier des carnets de croquis dont il a appris avec Frédéric Lemercier le rythme de mise en page, entre dessins et texte. Emmanuel Guibert a en effet un autre talent, celui d’écrire comme en atteste la parution de son dernier livre « Mike » (Gallimard) consacré à la mort d’un ami architecte. « Ecrire et dessiner c’est la porte à côté » aime t’il dire.

    Cet ouvrage est indispensable pour les connaisseurs de Guibert mais aussi pour ceux qui ont la chance de ne pas l’avoir encore découvert. Il ouvre les portes d’un monde magnifique en fournissant des clés essentielles d’une oeuvre unique et majeure. Aucun doute vous serez avec Emmanuel Guibert « en bonne compagnie » tout au long de cette lecture. Et pour les lecteurs de la Grande Ourse, vous retrouverez souvent en dessins ou dans les textes l'évocation de Varengeville et de sa région.

    Eric