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    19 janvier 2018

    Mon Perec de l'année, mais comme 2018 débute tout juste, je ne suis pas sûr de m'arrêter à un seul...

    Il me semblait l'avoir lu il y a longtemps mais cette lecture m'a semblé, au fil des pages, une découverte, de toutes façons, relire un Perec ce n'est jamais une erreur ni même une corvée.

    Écrit d'une manière étrangement distanciée, comme un constat, jamais Perec ne donne vraiment l'impression d'entrer dans les questions existentielles ; il fait de ses personnages des jouisseurs, des rêveurs de lendemains meilleurs mais sans efforts à fournir : un fort héritage, un trésor découvert, une reconnaissance financière pour des créations ne demandant pas beaucoup d'implication... Et pourtant, très vite cette impression est démentie à travers les rêves matérialistes qui ne se réalisent pas et qui donc posent question et poussent Sylvie et Jérôme à une réflexion.

    Si l'époque change, puisque ce texte a un peu plus de cinquante ans, les descriptions des objets et des intérieurs peuvent sembler datées, celles des personnages sont diablement modernes. Ce qui tendrait à prouver que malgré le progrès, les avancées technologiques, l'homme rêve toujours plus et pense que le bonheur s'atteint avec des désirs illimités qui, par définition ne seront jamais assouvis. "Trop souvent, ils n'aimaient, dans ce qu'ils appelaient le luxe, que l'argent qu'il y avait derrière. Ils succombaient aux signes de la richesse ; ils aimaient la richesse avant d'aimer la vie." (p.27). Constat cruel et tellement réel, puisque désormais tout est accessible du moindre clic de souris à condition d'avoir la monnaie, et j'imagine que les dernières fêtes ont été un prétexte à une ruée sur les objets technologiques, les jouets chers, l'acmé d'une consommation à outrance.

    Georges Perec évoque aussi la publicité, puisque ce n'est pas un hasard, Sylvie et Jérôme bossent dans ce domaine, et encore une fois, il fait mouche : "Lorsque, le lendemain, la vie, de nouveau, les broyait, lorsque se remettait en marche la grande machine publicitaire dont ils étaient les pions minuscules, il leur semblait qu'ils n'avaient pas tout à fait oublié les merveilles estompées, les secrets dévoilés de leur fervente quête nocturne. Ils s'asseyaient en face de ces gens qui croient aux marques, aux slogans, aux images qui leur sont proposées, et qui mangent de la graisse de bœuf équarri en trouvant délicieux le parfum végétal et l'odeur de noisette (mais eux-mêmes, sans trop savoir pourquoi, avec le sentiment curieux, presque inquiétant, que quelque chose leur échappait, ne trouvaient-ils pas belles certaines affiches, formidables certains slogans, géniaux certains films-annonces ?)." (p.87/88)

    L'écriture est superbe, les phrases longues, comme vous pouvez le constater sur l'extrait précédent -et il y en a de plus longues encore-, à lire en respectant bien les temps de respiration et de pause qu'impose la ponctuation, virgule en tête et en fête. Un texte intemporel, plutôt pessimiste sur la capacité des hommes à être heureux puisque le bonheur semble-t-il n'est pas dans la propriété ni dans la richesse matérielle et que c'est pourtant l'objectif d'une large majorité, qui résonne en tout lecteur actuel, passé et futur. Comme toujours avec Georges Perec, ce court roman est forcément indispensable.