Une main
EAN13
9782889071210
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
C. F. RAMUZ
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
S'identifier

Une main

Zoé

C. F. Ramuz

Indisponible

Autre version disponible

La collection « C. F. Ramuz » Voici une série de volumes afin de rendre
hommage à l’écrivain le plus important de Suisse romande. Parfois considéré à
tort comme un glorificateur du terroir, C. F. Ramuz est avant tout un
inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des
ressources de la langue, un essayiste en décalage, un nouvelliste hors pair,
comparable à un Picasso. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et
Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés,
cette collection ouvre l’accès à des textes peu connus, mais fait aussi
découvrir autrement les œuvres emblématiques de l’auteur. Introduction Guy
Poitry est né en 1956 à Genève. Il enseigne la littérature française à
l’Université de Genève depuis 1981, et à l’Université de Berne depuis 1998. Il
est l’auteur d’un ouvrage consacré à Michel Leiris, avec également un grand
nombre d’articles critiques sur ce même auteur, ainsi que sur Sade, Diderot,
Voltaire, Vinet, Remy de Gourmont. Il est auteur de romans et de récits.
========================= « Il vient de m’arriver une aventure sans doute très
banale, mais qui pour moi est au contraire toute imprévue, toute fraîche,
toute pleine de nouveauté ; toute pleine, il me semble aussi, d’enseignements
que je tâche de m’énumérer un à un : qui sont d’abord une terrible
humiliation, ensuite une non moins redoutable obligation à la patience (car on
n’est pas patient, et on ne veut pas l’être, pourtant on est forcé de l’être)
; enfin un retour non moins forcé sur soi-même, la nécessaire épreuve d’une
étroite confrontation. » Une main est un des rares textes sur soi de Ramuz,
écrit après une fracture de l’humérus qui l’a empêché de travailler quelque
temps. Le lecteur entre dans l’intimité de la dépendance, de l’appréhension
d’un corps différent, de la rééducation et d’une pensée sur l’être humain,
surtout sur lui en particulier et le rapport si intime qu’il établit entre
l’écriture et la vie, du moins la sienne : « De même qu’on n’écrit pas un
texte sans y introduire des alinéas, de même la vie est faite de fins et de
commencements ou de recommencements […]. La continuité fait place à la
discontinuité, qui n’est que l’occasion d’une nouvelle continuité. Une phrase,
repos. Puis une phrase, et puis repos. Des points avant le point final […]. »
« Qu’est-ce qu’écrire, sinon faire vivre ? Et si, soi-même, on ne vit plus ?
Si les mots eux aussi sont morts, parce que les mots c’est vous ? Ils sont
votre plus intime chair : ils sont blessés là où elle est blessée. » Il lui
suffit de cet accident banal – survenu après avoir glissé sur du verglas –
pour faire retour sur soi. Il devient alors « apprenti-philosophe et à vrai
dire apprenti-tout ». Embarrassé par un barbare appareillage, le romancier
voit son quotidien rétrécir, se ralentir, se condenser. La maison, l’espace («
Il y a un verre sur le monde. Je ne le vois plus que de derrière des croisées
qui n’empêchent pas de "distinguer" encore, mais empêchent de participer. On
voit l’air, on ne sent plus l’air ; on voit le mouvement du vent se faire, on
n’est plus mû par lui, on ne se meut plus contre lui. Il y a arrêt (avant la
reprise). »), le temps, l'écriture, l'autonomie (« C’est le retour sans gloire
à la première enfance, les mois de nourrice revenus. »), le corps, la relation
à l'autre, le sens d'une vie d'écrivain : tout est revu depuis une perspective
bouleversée. Ramuz passe pour un écrivain peu enclin à la confidence mais,
dans ce court et très beau texte, il se livre avec une douce mélancolie
teintée d'humour. Et puis, il peaufine son regard de peintre : « Tous les
matins, le jour qui se lève assez tard encore (vers les huit heures, guère
avant) vient suspendre le même tableau à ma droite dans le mur. Rectangulaire,
plus haut que large. Le même tableau, et pas le même. On veut dire que la
composition reste pareille et les objets dont elle est faite, on veut dire
leur contour ; mais les couleurs et les valeurs y varient continuellement.
C’est comme la Mare aux nymphéas (en mieux) et sans nymphéas. Le jour est le
peintre. Il change sans cesse lui-même, ce qui fait que les objets qu’il vous
présente changent sans cesse eux aussi. On les reconnaît, car ils sont simples
et peu nombreux, mais leur contenu n’est jamais le même. Dans le bas, à
gauche, il y a quelques branches nues, qui sont le haut d’un vieux cognassier,
toutes noires sur le fond clair, toutes hérissées et rouillées, et qui font
penser dans leur enchevêtrement à du fil de fer barbelé. Derrière, et prolongé
vers la droite jusqu’au cadre, il y a le lac. Il fait une bande. Au-dessus, et
faisant une seconde bande qui est à peu près de la même largeur, il y a les
montagnes de Savoie. Au-dessus enfin, et plus large, presque carré, c’est le
ciel. Et c’est tout. Pas une maison, rien d’humain, on veut dire pas la
moindre présence d’homme, sauf quand un bateau à vapeur, ce qui est très rare,
ou un chaland, ou une barque, passe : un vide universel, comme au commencement
du monde, fait d’air, de pierre, d’eau, de terre, et c’est tout. Et tout est
indistinct d’abord, mais déjà le jour vient avec son pinceau. Je regarde, je
n’ai qu’à tourner légèrement la tête ; laisser faire et regarder faire. Et je
vois le pinceau chargé de couleur se promener, c’est l’eau. Je le vois chargé
de noir et de blanc et il met un peu de noir à côté du blanc, un peu de blanc
à côté du noir, c’est la montagne. Je le vois enfin, chargé de deux ou trois
tons gris, aller plus haut par larges touches, et c’est le ciel. Même pas un
oiseau, ils savent bien que dans le haut de l’arbre ils ne trouveraient rien à
manger ; ils sont plus bas, parmi les buis, ou bien ils grimpent le long du
tronc où ils trouvent des insectes sous l’écorce ; ils sont où je ne peux pas
voir. Et, là où mon regard atteint, il flotte partout dans l’élémentaire, où
il y a seulement les jeux de la lumière qui vient, qui se retire, qui grandit,
qui diminue, qui est claire, qui est sombre, qui s’éteint presque, puis se
rallume tout à coup, avec tous les bleus, avec tous les blancs, avec de l’or,
de l’argent, du rose ; de sorte que sans cesse des mêmes formes naît un
coloriage nouveau, qui est comme leur négation. Les branches sont bleu de
Prusse : le lac, qui était dans le paysage ce qu’il y avait de plus sombre,
est à présent ce qu’il y a de plus clair. Il est comme une robe de petite
fille qu’on aurait souvent lavée, et on viendrait de la passer au bleu, mais
on n’aurait pas su s’y prendre, et il y a des places où ce bleu fait tache :
des places carrées, des places rondes où il apparaît plus foncé. Il arrive
parfois que l’eau à elle seule soit tout un paysage : c’est une plaine vue de
très haut, une plaine vue d’un avion à quatre ou cinq mille mètres. On voit
des ruisseaux, des fleuves. Un dégradé dans la nuance indique plus loin la
place d’une colline. C’est lisse, c’est craquelé, c’est ondulé, comme sur une
carte de géographie en relief. Pourtant il n’y a pas de vagues. Mais il y a
aussi les jours où il y a les vagues. Il y a les jours où sous le soleil tout
le tableau est en proie au mouvement (figuré). Il y a les jours du miracle :
que je vois venir, que j’attends : alors le peuple des choses est tout à coup
en proie à un grand bouleversement ; partout le brouillard monte, partout les
nuées se déchirent ; et, dans leurs trous, leurs entre-deux, des anges se
balancent, de grands anges en bleu et blanc, en robes bleues, avec des ailes
blanches. Le rideau du brouillard continue à s’ouvrir rapidement dans son
milieu, et on les voit tous qui se posent. On les voit assis ensemble, bien
sagement, les uns à côté des autres et les uns au-dessus des autres, faisant
une belle assemblée, leurs ailes repliées, leurs robes ramenées sous eux ; et,
sous le grand ciel pur qui règne maintenant partout, on distingue qu’ils ont
sur la tête une petite couronne rose, comme celles que les enfants font avec
les pâquerettes, au printemps. » Charles-Ferdinand Ramuz est l’écrivain le
plus important de Suisse romande. Né en 1878 à Lausanne, il fait des études de
Lettres puis s’installe pour dix ans (1904-1914) à Paris où il fréquente
Charles-Albert Cingria, André Gide ...
S'identifier pour envoyer des commentaires.